La maladie, un business juteux

Rédigé par Millions Missing France - - Aucun commentaire

Vous avez peut-être vu ces programmes qui vous promettent de guérir de l’EM/SFC ou du Covid Long en reprogrammant votre cerveau, en mettant en place une approche positive, en vous conseillant -et en vous vendant- des régimes, des produits ou des thérapies miraculeuses, voire simplement en vous proposant du coaching sur des principes de base qui n’ont rien d’innovant ? Ils fleurissent sur la toile et piègent des malades qui sont légitimement prêts à tout essayer pour aller mieux. 

Oui, on peut guérir de l’EM. Oui, vous pouvez agir sur pas mal de choses en espérant une stabilisation, voire une amélioration. Mais personne n’a de boule de cristal pour vous dire que VOUS allez guérir (ou pas, d’ailleurs).

Cet article vous propose de décrypter les techniques de manipulation mentale et de marketing utilisées par les promoteurs de programmes de guérison, pour que vous puissiez mieux les repérer et vous protéger. Il explique aussi les croyances sous jacentes de ces programmes et dénonce les risques encourus par les malades.

On vous appâte avec des promesses de guérison moyennant finances ? Que ce soit des médecins, des thérapeutes de tous bords ou des experts auto-proclamés, fuyez !

Marketing numérique et santé : un marché porteur

Jusque là, la plupart des programmes qui visaient les malades souffrant d’encéphalomyélite myalgique étaient en anglais. La barrière de la langue protégeait relativement les malades francophones. Mais le marché est juteux et ça y est, les premiers programmes français pointent le bout de leur nez. 

Leurs promoteurs utilisent des recettes toutes faites, très largement basées sur la manipulation mentale, avec des techniques de marketing numérique éprouvées dans d’autres registres. La vente de compléments alimentaires, d’huiles essentielles, de matériel culinaire ou d'autres produits de bien-être y est souvent associée, ainsi que des propostions d'activité à faire depuis chez vous, type marketing multi-niveaux. A la clé, beaucoup d’argent pour eux, pas beaucoup de résultats pour vous.

Le scénario est toujours le même. 

Première étape : favoriser votre empathie.  Une personne souffrant (réellement, ou pas...) de fatigue chronique, d’EM/SFC et maintenant de Covid Long témoigne de sa guérison sur les réseaux sociaux. Elle y partage son témoignage rassurant et ses expériences personnelles, au début plutôt de manière prudente, avec premiers conseils à l’appui, généralement basiques, sans risques et gratuitement. Elle s’appuie parfois sur des arguments médicaux sérieux, parfois sur un statut d'expert, de médecin ou de chercheur (qui peut-être faux), plus souvent sur des discours pseudo scientifiques. Le tout est censé asseoir un argument d’autorité

Deuxième étape : créer une communauté captive. Selon les “cibles” (terme dénué d’ambiguité utilisé en marketing), ce sera une chaîne Youtube, une page ou un groupe Facebook, un compte Instagram, voire une simple “page de capture” sur le web vous invitant à remplir un formulaire. Les personnes ne sont pas encore clientes, ce sont des “prospects”.

Troisième étape : mise en place du tunnel de vente. Suit très vite, voire immédiatement, la proposition de télécharger gratuitement un e-book généreux de conseils qu’on trouve partout. Objectif : constituer une base de données d’adresses électroniques. C’est le début de l’entonnoir, les phases suivantes vont progressivement transformer un certain nombre de prospects en “clients”.

Quatrième étape : opération séduction. Voici venir la proposition d’un programme rempli de promesses alléchantes.  Les phrases sont toniques, positives, elles vous promettent de reprendre le contrôle, sont garnies d’emoji tout mignons, de points d’exclamation, de descriptions affriolantes.  Quant aux conditions et aux tarifs, généralement on ne vous en dit pas trop, voire rien du tout.

Cinquième étape : provoquer l'engagement. Le programme est réservé en offre spéciale à un nombre restreint de personnes, dont VOUS êtes l'heureux bénéficiaire : se sentir privilégié⋅e provoque l’engagement. C’est une technique de manipulation bien connue en marketing, qui garantit que nombre de prospects seront prêts pour la suite. On a bien plus de mal à quitter quelque chose dans quoi on s'est engagé...

Sixième étape : créer l'illusion d'une relation privilégiée. Votre futur coach vous appâte avec une première offre gratuite (une masterclass avec accès réservé, une série de vidéos, des rendez-vous individuels...). Outre vous donner l'illusion d'une relation privilégiée avec votre coach, cette première offre a aussi comme objectif d'obtenir une première sélection de prospects qui prouvent leur engagement par leur participation (condition indispensable pour la suite du processus), et ont donc de plus fortes possibilités de devenir clients. 

Tout cela s'appuie sur un programme d'envois de mails automatisés et personnalisés. Si c’est bien fait et si vous n’êtes pas professionnel du marketing numérique, vous ne verrez pas vraiment que le lien privilégié est une illusion. Votre prénom est dans l’objet des mails, à l’intérieur des textes. Apparemment, votre “coach” s’adresse bien à vous, rien qu’à vous… 

Septième étape : la vente. Vient le moment d'annoncer les tarifs et conditions. Tout travail mérite d’être rétribué. Plus le programme est cher, meilleure est censée être sa qualité. Mais il ne faut pas faire fuir le client, et mieux vaut couvrir des clientèles variées. La plupart des programmes proposent donc des niveaux différents, avec des tarifs spécifiques pour chaque "cible". Généralement, les montants sont évalués en amont, lors de la première étape, par exemple en demandant aux malades ciblés quel budget ils investissent dans leurs soins et dans leurs traitements non pris en charge. C'est sympa, on vous demande votre avis...

Et là, bien sûr, tout est possible. CD présentant la méthode miracle (qui ne s'appuie sur rien de scientifique), vidéos payantes (alors qu'elles sont souvent accessibles gratuitement en cherchant un peu...), vente de produits (dont on ne sait pas toujours ce qu'ils contiennent, et toujours à un prix supérieur à ce que vous pourriez trouver par ailleurs), stage de jeûne aux tarifs exhorbitants, séjours de rêves avec des soins que vous auriez pu faire à deux pas de chez vous, etc.

Huitième étape : la fidélisation. L'achat d'un programme de base mène potentiellement à l'achat de modules complémentaires ou de produits associés. Vous faites partie d'une communauté, vous vous sentez compris⋅e, vous êtes VIP, votre coach vous dorlote : vous avez confiance, alors vous poursuivez. Vous prenez probablement plus soin de vous, donc vous voyez quelques améliorations qui vous encouragent. C'est la "lune de miel", qu'on observe très souvent dès qu'une personne améliore son hygiène de vie. Avec ou sans coach... Mais bien sûr, vous payez suffisamment cher pour avoir des bénéfices de ce programme, non ?

Les discours séduisants vous accompagneront tout au long de votre parcours, c'est la base du succès de votre coach. Les techniques et les arguments sont des copiés-collés, directement issus du management d'entreprise et du marketing à distanc. On vous proposera par exemple de manière tonique et enthousiaste de programmer votre succès dans la guérison en développant vos objectifs. Ou encore de créer votre entreprise sans risque depuis chez vous, sans beaucoup travailler ni vous fatiguer (ben oui, quand même, vous payez pour guérir...). Et si vous faisiez la même chose que votre coach ? Il réussit à merveille, il va vous dire comment faire, c'est quand même chouette, votre coach ne craint pas la concurrence (le marché est immense...). Vous avez dit business ?

 

Une croyance sous-jacente dangereuse

Les témoignages de guérison rassurent. S’entendre dire que guérir ne dépend que de notre volonté permet de contrer notre impuissance face à toutes les limitations imposées par la maladie. C’est infiniment séduisant, de reprendre le contrôle… 

Les discours comme quoi on peut guérir en reprogrammant son cerveau ou en changeant de comportements trouvent un terreau fertile dans la psychologisation à outrance, historique et toujours d’actualité, de l’EM/SFC et malheureusement aujourd’hui du Covid Long. Dire que changer nos comportements et notre manière de penser guérit de la maladie, cela implique en toute logique la croyance que cette maladie est née de comportements et de pensées inadaptées. Pour rappel, aucune étude scientifique sérieuse ne confirme ça pour l'EM/SFC ou pour le Covid Long...

Cette croyance sous jacente portée par ces programmes fait le jeu de ceux et celles qui nient la réalité physiologique de l’EM/SFC ou du Covid long. C’est le lit douillet de la maltraitance médicale, du blocage des avancées en matière de recherche, de prises en charge adaptées ou de recommandations officielles.

Au-delà des promesses, des risques réels

Nombre de ces programmes font l’objet de mises en garde émanant des spécialistes ou des associations et sont reprises dans des directives officielles. Derrière les fausses promesses de guérison, il y a des dangers réels pour les malades.

Tous ces programmes reposent sur la confiance. Outre le sentiment de faire partie d'une communauté bienveillante, vous avez noué ce que vous pensez être un lien privilégié avec votre coach. Votre coach peut être connu⋅e, médiatisé⋅e positivement, avoir une personnalité solaire, mettre en avant des titres séduisants (c'est fou ce que les mots "expert", "docteur" et "chercheur" sont utilisés de manière abusive par certains). Quand un coach met en avant toutes les recherches qu'il-elle a faites, tapez son nom sur Pubmed, qui recense les publications scientifiques... Surprises au rendez-vous...

Risques financiers

De nombreuses personnes souffrant d’EM ou de Covid Long ne peuvent plus travailler, beaucoup sont isolées et fragiles financièrement. Elles font face à l'impuissance, à un manque scandaleux de compréhension de nombreux professionnels de santé, voire à de la maltraitance, et à l'absence de prises en charges globales adaptées. Légitimement, la plupart sont prêtes à dépenser pas mal d'argent quand on leur promet de guérir, quitte à s'endetter et à se mettre en danger financièrement.

Vous allez vider votre portefeuille, souvent pour des conseils que vous allez trouver gratuitement partout et pour des produits payés au prix fort. Le premier niveau ne fonctionne pas ? On va vous dire que vous avez besoin de plus de coaching ou de produits, et donc de dépenser plus. Dites stop… 

Surfant sur la vague, nombre de cochas affiliés à des entreprises ajoutent le recrutement de vendeurs à distance aux promesses de guérison. Quand on ne peut plus sortir de chez soi, travailler depuis son domicile, c'est évidemment tentant... Ils oublient de vous dire que pour que vous puissez réellement gagner un peu d'argent, ça va vous demander beaucoup d'énergie et de régularité. Ils oublient auss de pointer les obligations légales liées à la vente à distance en France. Ils vous proposent d'un côté de vous aider à retrouver de l'énergie, de l'autre à la dépenser immédiatement en vous mettant au travail -pour lequel vous aurez souvent à investir, bien sûr... Ils sont gagnants sur les deux tableaux... Pas vous...

Risques psychologiques.

Le programme ne fonctionne pas vraiment ? Le coach vous assène que vous n’avez pas fait les choses comme il le fallait, que vous n'êtes pas assez engagé⋅e, que vous ne voulez pas vraiment guérir, que vous n’êtes pas assez “aligné⋅e” , que vous ne souhaitez pas vraiment “changer de vie”, que vous avez “des bénéfices à être malade” ou “que vos douleurs vous servent psychologiquement” etc.

En d'autres termes, vous êtes coupable de ne pas guérir, vous n’êtes pas assez bon pour vous prendre en main. Votre confiance en vous est fragilisée, votre sentiment de culpabilité est manipulé. Rompez la relation. Oui, votre confiance a été trahie. Mais ce n'est pas vous le coupable... Nombre de promoteurs de ces programmes pourraient être accusés d'abus de faiblesse.

Risque médical.

Certains de ces programmes vous invitent, plus ou moins clairement,  à cesser des traitements dont le suivi "vous renforce dans l’idée d’être malade". Vous pouvez aussi être amené⋅e à ne pas respecter vos limites, à faire moins de pacing ou à l'arrêter (conseil donné notamment quand les nouveaux "experts" confondent pacing et repos), à reprendre vos activités, à adopter des régimes alimentaires qui ne vous conviennent pas, à cesser les explorations médicales etc.

Ne faites pas de modifications sans avis éclairé de médecins ou de spécialistes de la maladie. Contactez les associations pour apprendre le pacing et connaître les ressources nécessaires pour une meilleure prise en charge de votre maladie. Les associations ont beaucoup de ressources gratuites à votre disposition... 

Risques sociaux.

Dans la vie courante, les malades rencontrent des tonnes de jugements négatifs, d'incompréhension, de stigmatisation. Soudain, vous intégrez une communauté (virtuelle ou pas) de malades qui partagent les mêmes approches et les mêmes croyances. C'est si agréable de vous sentir enfin compris⋅e. Mais la communauté peut se refermer sur elle-même. Les réseaux sociaux favorisent encore plus l'entre-soi. Cet entre-soi est un des ressorts cachés de ces programmes. Les croyances qu'ils portent et les contraintes qu'ils imposent peuvent vous isoler encore plus de vos proches. Dans le pire des cas, ces programmes sont une porte d’entrée pour des mouvements sectaires.

Les personnes qui autrefois comprenaient votre état et vous soutenaient prennent de la distance ? Ce sont des signaux d’alerte.

Les associations offrent des ressources pour communiquer avec vos proches. Une aide psychologique peut être nécessaire si vous souffrez de solitude ou d'incompréhension. C'est plus sûr qu'une illusoire communauté dans laquelle, quand on creuse un peu, beaucoup de gens qui semblent convaincus et heureux ne le sont pas tant que ça, mais n'osent l'exprimer. Quand tout le monde semble satisfait, c'est facile de penser que c'est nous, le problème...

Guérir de l’EM, c’est possible ou pas?

OUI. S'il n'y a pas de traitement curatif à ce jour, ça ne veut pas dire que personne ne guérit ! C'est un message important à faire passer. Et puis, la recherche avance, plusieurs spécialistes et chercheurs pensent que l’EM/SFC peut être une maladie réversible. Encore faut-il trouver comment. Donc financer des recherches bio-médicales... Gardons espoir !

Combattons une idée forte, parfois portée par des médecins, selon laquelle "il n'y a rien à faire" si vous avez un diagnostic d'EM. C'est faux. Il y a plein de choses sur lesquelles vous et vos médecins pouvez intervenir, y compris des traitements médicamenteux, qui permettent à beaucoup de malades d’améliorer leurs capacités et leur confort de vie. La plupart sont listés ici.

Le souci, c'est que les spécialistes de l'EM sont rares, qu'il n'y a pas de formation médicale, pas de recommandations officielles, et que bon nombre de traitements possibles ne sont pas validés pour l'EM, donc leur prescription peut causer des problèmes aux médecins. Pas que rien n'est possible...

Donc, oui, vous pouvez guérir. C'est une possibilité. Pas une promesse. La différence est importante. Personne ne peut vous dire “vous allez guérir” ou “ vous n’allez pas guérir”. Personne ne sait.

Quand on fréquente des centaines de malades et des médecins spécialistes de cette fichue maladie, force est de constater que si beaucoup de personnes s'améliorent, malheureusement trop peu guérissent. Parmi elles, certaines ont subi des erreurs de diagnostic. Des explorations médicales ou des médecins plus compétents ont mis au jour une maladie qui a pu être traitée. Par exemple certains malades guérissent après enlèvement d’implants gynécologiques responsables de symptômes proches du SFC. Il existe aussi un petit pourcentage de rémissions d'EM/SFC, estimées à 5% des malades. Certaines sont spontanées, mais elles suivent généralement une prise en charge globale avec pacing rigoureux et traitements médicaux. C'est le cas de beaucoup de malades sévèrement atteints d'EM qui témoignent de leur guérison sur les réseaux sociaux, et tous n'ont pas l'objectif de gagner de l'argent avec leur démarche...

Multiplier les facteurs d'amélioration

Les facteurs aggravants sont connus: l’absence de prise en charge médicale, l’incompréhension, le stress, le fait de tirer sur la corde et de multiplier les malaises post-effort, l’isolement social, le manque d’aide au quotidien, l'anxiété, les ruminations, une mauvaise hygiène de vie, la précarité financière etc.

Les facteurs d'amélioration aussi sont connus : la prise en charge médicale des symptômes qui peuvent l'être et des comorbidités ; la mise en place rigoureuse du pacing ; l'amélioration de l'hygiène de vie (alimentation, sommeil...) ; les techniques de relaxation et de cohérence cardiaque ; l'aide matérielle au quotidien ; si besoin un accompagnement psychologique car les épreuves sont difficiles ; un entourage et des médecins ouverts et bienveillants etc. 

Mettre en place les facteurs d'amélioration demande un cheminement personnel, du temps, de l’énergie, des ressources psychologiques et matérielles. Tout cela varie beaucoup selon les personnes. Dans tous les cas, la volonté ne suffit pas, la croyance non plus.

Chaque personne a objectivement des possibilités d'agir différentes, selon son entourage, sa résilience psychologique, ses moyens financiers, les soignants qui lui sont accessibles, leurs compétences, les traitements disponibles, etc. Et puis malheureusement, on voit aussi des malades qui "font tout bien", qui ont une belle résilience, un attitude positive, une forte volonté de s’en sortir, une bonne prise en charge et qui malheureusement s'aggravent.

Des facteurs d'amélioration ne sont pas des promesses d'amélioration. Personne n’est tout puissant. Personne n’a de boule de cristal et ne peut vous dire que vos actions vont vous mener à la guérison. Si on vous fait ce type de promesses, et qu'en plus on vous propose de vider votre bourse : fuyez…

 

Vous en voulez plus ? Voici quelques références très accessibles sur ce business du bien-être et du développement personnel qui cible les malades chroniques.

Arte. Le business du bonheur. Documentaire. 1h27
Cabans Edgard, Illouz Eva Happycratie : Comment l’Industrie du Bonheur contrôle notre vie Premier Parallèle Editeur, Paris. 300 p.
Debunker des étoiles Créer sa secte en 10 leçons. Vidéo de 19 mn. Humour au programme !
De Funes Julia. Le développement (im)personnel : le succès d'une imposture. J'ai Lu, 180 p.

 

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