Covid Long : encore du chemin !
Rédigé par Millions Missing France - - Aucun commentaireLe 22 décembre 2020, Millions Missing France était invitée, ainsi que notre partenaire #AprèsJ20 Covid Long France, à participer à un groupe de travail à la Haute Autorité de Santé (HAS).
A la demande du Ministère de la Santé, ce groupe devait rédiger des réponses rapides, destinées aux médecins généralistes, pour la prise en charge des malades avec des symptômes au long cours après une infection Covid-1 (Covid Long).
Le 29 janvier 2021 s'est tenue la dernière réunion du groupe de travail.
Ce même jour, le 29 janvier 2021, Faustine Nogherotto, très proche de Millions Missing France, nous quittait. Elle endurait depuis des années des souffrances insurmontables, à cause de l’encéphalomyélite myalgique et d’une mauvaise prise en charge. Sa demande d’euthanasie en Belgique avait été acceptée la veille.
Faute de reconnaissance officielle de la maladie, de recherches, de traitements, de formation médicale, Faustine, ancienne de la Star Academy, 31 ans, pétillante, talentueuse, généreuse, pleine de rêves et de projets, Faustine, notre sœur de galère, a éteint ses projecteurs.
Deux faits, apparemment sans lien si ce n'est le hasard du calendrier. Et pourtant : combien de malades Covid Long risquent d'en être amenés à une décision irrémédiable si leurs soins ne sont pas adaptés et que leur état s'aggrave encore ?
Après la publication le 12 février des premières recommandations de la HAS, qui ne prennent pas en compte l'évaluation du malaise post-effort, n'informent pas sur le pacing, ne mettent pas en garde clairement sur les risques de la réadaptation à l'effort dans certains cas, nous craignons qu'ils soient nombreux, trop nombreux...
Covid Long et EM
Atteinte d'encéphalomyélite myalgique (EM), Faustine est une des malades qui a pris la décision d’arrêter son calvaire. Une parmi des centaines, des milliers d’autres dans le monde, inconnus, qui ne font pas la une des journaux, voire qui demandent à leurs proches et aux associations une entière discrétion sur leur geste.
Nous craignons aujourd'hui qu'une partie des malades Covid Long rejoigne les rangs des malades d'EM, à cause de prises en charge non adaptées qui risquent de les aggraver très sérieusement, les plongeant dans un état sévère, confinés à leur domicile, avec des souffrances au quotidien.
Cela fait maintenant des mois que nous accueillons des malades Covid Long atteints des symptômes typiques de l'EM, et surtout de celui qui lui est cardinal : le malaise post-effort. Les médecins spécialistes de l’EM diagnostiquent "à tour de bras" des malades Covid Long, selon l’un d’eux, après des tests qui démontrent une intolérance physiologique à l'effort qui va au-delà du seul déconditionnement. Plusieurs médecins du groupe de travail de la HAS, "déconcertés par ce qu’ils voient chez les malades Covid Long" ont décrit lors des réunions un tableau très habituel pour nous, patients-experts de l'EM.
Tous les malades Covid Long ne vont pas déclencher l’EM et ceux qui vont la déclarer ne vont pas tous se retrouver en état sévère. Nous devons attendre les études pour savoir quelle proportion de malades infectés par le Sars-CoV-2 est concernée. Cependant, nos inquiétudes sont étayées par des données préliminaires. Des données statistiques récentes évaluent à environ 10 % des malades testés positivement présentent des symptômes après 12 semaines ou plus. Une étude en preprint relève que chez 2454 malades du Covid long depuis plus de 6 mois, 72.2% sont atteints de malaise post-effort. Cette étude recoupe les très nombreux témoignages visibles sur les réseaux sociaux, en France comme à l'étranger.
Or nous voyons la réadaptation à l'effort prescrite en masse, prescription confortée par cette première réponse de la HAS : cela nous fait craindre le pire.
Contexte de notre intervention à la HAS
Depuis le printemps dernier, Millions Missing France alerte sur les conséquences possibles à long terme d’une infection à SARS-CoV-2. Comme pour son prédécesseur le SARS-CoV et pour d'autres infections virales, elle est susceptible d’être suivie d’un syndrome de fatigue post-virale (SFPV) voire d’une encéphalomyélite myalgique (EM) .
L'invitation au groupe de travail de la HAS a fait suite à la lettre ouverte que nous avions adressée aux Autorités Sanitaires au mois de novembre 2020. Celle-ci alertait sur la présence du malaise post-effort chez une partie des malades Covid Long et clamait : "Urgence !" quant au risque que ceux qui en souffrent développent l'EM. Toutes les références scientifiques nécessaires pour argumenter le propos y étaient données.
Notre investissement sur cette question depuis des mois, notre partenariat avec l’association #AprèsJ20 Covid Long France , le fait que nous avions le soutien de la Professeure Dominique Salmon-Céron (co-cheffe du service d'infectiologie à l'AP-HP Hôtel-Dieu) nous ont fait accepter cette invitation, avec l’espoir que nous pourrions obtenir en France des avancées comme cela a été le cas en Australie par exemple. Surtout, il nous paraissait évident que sans notre présence, ’aucune précaution ne serait posée sur la réadaptation à l’effort.
Comme spécifié par le cadre de la réponse rapide, nous sommes intervenus uniquement sur le Covid Long, pas dans l’optique de parler de l’EM.
Nos objectifs
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Informer les médecins et les responsables institutionnels sur le malaise post-effort et sur son apparition suite à l'infection virale de la Covid-19.
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Faire évaluer la présence du malaise post-effort à l’aide d'outils cliniques appropriés chez les malades Covid Long.
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Alerter sur le danger de la réadaptation à l’effort en présence de ce symptôme.
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Alerter sur une psychiatrisation abusive des malades et/ou un diagnostic trop rapide de trouble somatique fonctionnel * , alors même que nous manquons de recul et de données médicales et scientifiques sur cette question du Covid Long.
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Donner des ressources sur le pacing, stratégie thérapeutique basée sur la gestion au quotidien du rythme d’activité. Elle permet au malade de ne pas dépasser ses limites, ses seuils de capacités fonctionnelles, qu’elles soient physiques, cognitives ou émotionnelles. Sa mise en œuvre généralisée et rigoureuse peut permettre d'éviter le déclenchement d'EM et la plongée dans l'enfer de l'état sévère de la maladie
Cette réponse rapide n'est pas satisfaisante !
Malgré notre travail d'information et d'alerte, que nous avons étayé autant que possible par des données scientifiques, nos interventions n'ont pas ou peu été prises en compte.
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Si quelques membres du Groupe de Travail de la HAS ont compris l’enjeu et repèrent que certains malades présentent des malaises post-effort, voire déclenchent très probablement l’EM, ils sont une minorité. Une minorité de médecins piégée par l’absence de reconnaissance officielle de la maladie.
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Les études que nous avons apportées sur le malaise post-effort et sur le pacing n’ont pas été prises en compte, alors que celles concernant les troubles somatiques fonctionnels ont été conservées. Pourtant, ces dernières disposent d’un très faible niveau de preuve comme le reconnaissent les médecins, y compris ceux qui les ont mises en avant.
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Le malaise post-effort et son évaluation, "non reconnus en France", ne figurent pas dans la réponse rapide. Alors que nous avons transmis des références scientifiques fiables et des outils pour une évaluation rapide sans risque pour le malade, ainsi que les avancées à l'étranger sur cette question pour le Covid long.
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La stratégie du pacing n’est jamais citée, car "elle n’est pas reconnue en France". Pourtant, un programme d’éducation thérapeutique a déjà été validé en France et des études sérieuses montrent son impact favorable en cas d’épuisement sévère, surtout quand il y a malaises post-effort mais pas uniquement.
Nous avons malgré tout décidé, avec beaucoup de réserves, d’apposer notre logo sur ce document pour plusieurs raisons :
- Nous sommes arrivés à faire passer quelques petites choses : quelques phrases dans la fiche sur la fatigue, une petite évaluation d’éventuels malaises post-effort, quelques principes de précaution pour la réadaptation. Une fiche patient sur le pacing est « peut-être » envisagée dans la foulée. C’est très insuffisant à nos yeux. Mais cela existe et nous laisse espérer que nous pouvons, en tant qu'association de patients, bénéficier d’une légère attention.
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Des études sur le Covid Long sont en cours, partout dans le monde, certaines concernent le possible déclenchement de l’EM post Covid-19. Nous tablons sur le fait que leurs résultats risquent malheureusement d'abonder dans notre sens en confirmant nos pires craintes.
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Nous souhaitons être associés dans un futur proche à la mise en place des recommandations. Nous avons une expertise de l’EM et du pacing, une connaissance du corpus scientifique sur le malaise post-effort, que nous voulons mettre à disposition. Encore faudra-t-il que nous soyons entendus plus que nous ne l'avons été dans cette première étape.
Covid Long : privilégier le pacing avant tout !
Depuis des mois, les associations et malades d'EM n'ont cessé de recommander repos et pacing aux malades Covid longs pour la prévention du malaise post-effort. Ils confirment en majorité que ces conseils les aident et ils les partagent entre eux.
Nous sommes très inquiets de voir que la HAS recommande de l'exercice physique ou des réadaptations à l'effort à des patients qui décrivent clairement des malaises post-effort. Ces malades doivent mettre en place le pacing. Cette stratégie thérapeutique complexe de gestion du rythme des activités exige une formation de base des généralistes pour qu'ils puissent aider leurs patients.
Pour la prise en charge du Covid Long, le pacing fait partie des recommandations du BMJ, ainsi que des recommandations australiennes. Le NICE (Royaume-Uni) émet également des avertissements contre la réadaptation à l’effort chez les malades en convalescence après infection à la Covid-19. Des physiothérapeutes-chercheurs experts du malaise post-effort qui aident actuellement des malades Covid Long s'opposent formellement aux programmes d'exercices physiques gradués (Physios for ME, Workwell Foundation)
Alerte rouge, urgence sanitaire !
Nous vivons aujourd'hui une situation totalement inacceptable : des malades sont aggravés par des recommandations officielles de nos autorités sanitaires. Cela pourrait provoquer des actions en justice et c'est étonnant que ce ne soit pas encore le cas. Des dizaines de milliers de malades Covid Long aggravés par des prescriptions de réadaptation à l’effort pourraient changer la donne…
- Nous ne voulons pas que les Covid Long soient diagnostiqués avec des "troubles somatiques fonctionnels", comme nous le voyons déjà de manière régulière.
- Nous ne voulons pas que les malades Covid Long soient poussés vers plus d'invalidité que celle dont ils souffrent déjà, à cause d'une prise en charge inadaptée voire dangereuse.
- Nous ne voulons pas que des malades en état sévère envisagent de mettre fin à leurs jours faute de prise en charge adaptée.
Dans les futures recommandations de la HAS, nous voulons, en urgence :
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qu’il soit fait mention du SFPV et de l’EM comme conséquences possibles et donc que ces maladies soient reconnues officiellement en France. Cela permettra de débloquer des financements pour la prise en charge adaptée des malades, des formations médicales, des recherches...
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que le malaise post-effort soit évalué, de manière objective. Les outils existent.
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que la réadaptation à l’effort soit contre-indiquée pour les malades atteints de malaise post-effort.
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que la stratégie thérapeutique du pacing soit reconnue et fasse l’objet d’une formation a minima des généralistes et que des programmes d’éducation thérapeutique soient soutenus.
Un programme de formation médicale sur l'EM et le pacing est en cours de réflexion dans notre association. En attendant, pour tous les malades et les professionnels de santé qui désireraient avoir des informations et des outils, notre dossier pacing est accessible sur la page Ressources du site et les bases du pacing sont présentées sur la page "Vivre avec l'EM".
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* Définition du trouble somatique fonctionnel dans la classification internationale des maladies (CIM-10) : "troubles caractérisés par des symptômes physiques associés à des demandes d'investigation médicale, persistant malgré des bilans négatifs répétés. La présence avérée d'un trouble physique authentique ne permet pas de rendre compte de la nature ni de la gravité des symptômes du patient. Le patient s'oppose à toute hypothèse psychologique pouvant expliquer ses troubles, même quand le contexte l'évoque ou qu'il existe des symptômes dépressifs ou anxieux manifestes". La CIM-10 précise «que ces patients présentent souvent un comportement histrionique et essayent d'attirer l'attention d'autrui, notamment quand ils ne réussissent pas à convaincre leur médecin de la nature essentiellement physique de leur maladie et de la nécessité de poursuivre les investigations et les examens complémentaires. (...) Sont communément admis comme étant des troubles somatoformes : la somatisation, le trouble hypocondriaque (incluant la dysmorphophobie), le trouble somatoforme indifférencié, le dysfonctionnement neurovégétatif somatoforme, le syndrome douloureux somatoforme persistant, et selon les classifications, les troubles de conversion".