Alerte : la malnutrition dans l'EM.

Rédigé par Millions Missing France - - Aucun commentaire


© Camilla Trizio

 

Ce 8 août, nous relayons la campagne du collectif 25% ME Group pour alerter sur les risques de malnutrition chez les personnes souffrant gravement d’encéphalomyélite myalgique. Vous pouvez suivre cette campagne sur leur compte Twitter @MalnutritionME, avec le hashtag #EndMalnutritionInME

Pour rappel, un quart des malades souffrant d’EM sont en état sévère, alités plus de 20 h par jour, confinés à leur domicile et dépendants d’aides pour les actes de la vie courante. On estime entre 2% et 5% les malades très gravement atteints5, alités en permanence, dépendants totalement d’autrui y compris pour les actes essentiels de la vie courante et les soins personnels. Leur capacité fonctionnelle est inférieure à 5% et comparable à celle de malades en fin de vie4,7.

Quand manger devient difficile

En état sévère et très sévère, les malades souffrent souvent de graves problèmes de nutrition et d'hydratation. Notre association accompagne plusieurs malades dans ce cas. Tous leurs témoignages convergent : les troubles de la nutrition sont aujourd’hui très mal reconnus pour les malades d’EM, alors qu’ils le sont dans d’autres pathologies. Faute de formation médicale, le pronostic vital peut être engagé.

Les récentes directives du NICE7 (Royaume-Uni) recommandent de surveiller les risques de malnutrition ou de perte de poids involontaire en raison des facteurs suivants : régime alimentaire restrictif ; manque d'appétit lié par exemple à une altération du goût, de l'odeur et de la texture des aliments ; intolérances alimentaires ; nausées ; difficultés à déglutir et à mastiquer. S’y ajoutent5 : incapacité à avaler  ; gastroparésie ; malabsorption des nutriments ; trouble de l’activation des mastocytes8 (SAMA) ; problèmes gastro-intestinaux sévères. L'isolement, très fréquent, entrave l’accès à des repas réguliers de bonne qualité nutritionnelle, impossibles à réaliser quand la personne ne peut plus rien préparer sans aide ou qu'elle ne peut plus se lever. Quand l'épuisement est extrême, même porter une cuiller à la bouche, boire ou digérer devient impossible, comme c'est le cas pour des malades en fin de vie.

Des malades en grand danger faute de formation médicale

Une étude de 5 cas publiée en 20201 converge avec les témoignages reçus par notre association. Tous les malades malnutris survivent de longues semaines en restant déshydratés et sans prise en charge nutritionnelle, ce qui les aggrave et peut mettre leur vie en danger.

A de très rares exceptions près, l’incapacité des malades à se nourrir est attribuée à une origine psychologique. Les professionnels de santé, dans leur immense majorité, ignorent que la malnutrition peut être une conséquence directe de l'EM. Ils choisissent de mettre en avant des conclusions psychologiques non fondées, plutôt que de répondre au besoin clinique primaire. Le diagnostic d’anorexie mentale est posé chez des adultes en l’absence de tout antécédent et sans aucune preuve de psychopathologie1. L'inertie clinique est au rendez-vous, voire la maltraitance. Des malades sont menacés d’internement, d’autres de l’enlèvement d’une sonde mise en place pour faire face à une urgence vitale, alors même qu’ils en ont encore besoin. C’est une expérience terrible émotionnellement pour des malades en grande fragilité.

Le retard mis à reconnaître la gravité de la malnutrition et à fournir un soutien nutritionnel approprié en temps voulu1 a de graves conséquences pour les malades. L'alimentation entérale ou parentérale n'est souvent mise en place que lorsque la malnutrition engage le pronostic vital. Elle est pourtant utilisée plus précocement dans d’autres pathologies, dont l’anorexie. Pourquoi ces refus pour les malades d’EM, alors même qu’ils reçoivent ce diagnostic d’anorexie ?

Un défi majeur pour les professionnels de santé

Il est difficile pour un médecin d’être confronté à des malades en état sévère alors qu’ils ne sont pas formés sur l’EM. Sans options thérapeutiques à sa disposition, il peut ressentir un sentiment d’impuissance, adopter une stratégie d’évitement, ou encore proposer des traitements inappropriés1,6.

Il est essentiel que les malades d’EM en état sévère puissent bénéficier d’un suivi à domicile par un médecin qui s’informe sur la maladie. Tous les malades devraient avoir un accompagnement par un⋅e professionne⋅le de la nutrition dès que des troubles liés à l’alimentation apparaissent, et c’est souvent le cas y compris pour des malades en état léger ou modéré.

La gastroparésie est une comorbidité fréquente chez les malades souffrant d’EM2 et peut apparaître bien avant l’état sévère. Ce trouble de la vidange gastrique peu exploré est souvent diagnostiqué tardivement. De même, le SIBO (pullulation de bactéries et/ou d’archées dans l’intestin grêle) doit être dépisté rapidement pour une prise en charge précoce.

Les malades doivent être mis en garde très tôt contre les dangers des régimes restrictifs éliminant des catégories entières d’aliments. Une étude sur l'intérêt éventuel d'un régime pauvre en sucre et en levure n'a ainsi révélé aucun avantage3. Pour stabiliser la glycémie, il est conseillé de suivre un régime équilibré comprenant des glucides complexes avec des repas réguliers tout au long de la journée. Café, alcool et tabac sont à éviter.  Pour les malades en état sévère, de petites collations fréquentes riches en nutriments sont à privilégier. Le régime Fodmap est utilisé avec succès chez de nombreux malades pour le SIBO, en parallèle avec un traitement médicamenteux. Il doit être suivi sous la supervision d’un spécialiste. En cas de SAMA (syndrome d'activation mastocytaire), la liste des aliments supportés peut être restreinte. Pour la gastroparésie, outre les traitements classiques, de petites collations fréquentes et la limitation des graisses et des fibres peuvent atténuer les symptômes.

Les malades qui suivent des régimes avec une teneur insuffisante en glucides peuvent développer une hypersensibilité secondaire à l'insuline entraînant une hypoglycémie à réaction tardive deux ou quatre heures après la prise de glucides, avec vertiges, évanouissements, nausées et sueurs. Ces symptômes peuvent contribuer à renforcer la conviction des malades de leur intolérance aux glucides. L'évaluation doit inclure un test de tolérance au glucose sur quatre heures qui mettra en évidence une hypoglycémie tardive.

Une carence ou un déficit en vitamine D sont fréquents : une supplémentation et la consommation d'aliments riches en vitamine D (poissons gras, œufs) sont conseillés, avec surveillance régulière du calcium sérique.

L’hydratation est essentielle, autant pour améliorer l'intolérance orthostatique que la volémie. Il est conseillé aux malades de boire beaucoup, 30ml /kg de poids (autour de 2,5 l d'eau par jour généralement). Dont 2 verres dans la première heure suivant le lever, 2 verres pendant la matinée, 1 verre au repas de midi, 2 verres dans l'après-midi et un verre au repas du soir. En cas de symptômes sévères, environ la moitié de l'eau de boisson sera additionnée d'une solution électrolytique. Pour les malades gravement atteints, des perfusions de sérum salé intra veineux 1 à 2 fois par semaine d’1 l à 1,5 l permettent d’augmenter la volémie.

Dépister la malnutrition est fondamental. Pour les professionnels de santé, le MUST (Malnutrition Universal Screening Tool) est un outil de dépistage précieux. Développé en 2003 au Royaume-Uni par le Malnutrition Advisory Group et l’Association britannique de la nutrition parentérale et entérale (BAPEN), il est réévalué régulièrement et est communément employé dans le monde entier. Des interventions précoces sont importantes pour pallier les risques. En cas de perte de poids continue, une alimentation enrichie ou des compléments nutritionnels oraux, tenant compte des envies et des intolérances des malades, est trop rarement appliquée.  La mise en place précoce d'une alimentation entérale ou parentérale par sonde s'est avérée bénéfique chez les patients atteints gravement d'EM1.

Respecter les besoins spécifiques des malades.

En plus des troubles de la nutrition, les malades en état sévère et très sévère souffrent de symptômes massifs : épuisement conduisant à l’alitement continu ; douleurs généralisées et sévères ; hypersensibilité au toucher, au bruit, à la lumière ; troubles du sommeil, hypersomnolence possible ou au contraire difficulté à dormir en raison de douleurs et de maux de tête ; troubles majeurs de cognition, de concentration et de mémoire à court terme ; sensibilités chimiques multiples ; troubles de la nutrition ; aphonie ; myoclonies ; incontinence… La qualité de vie des malades en état sévère est pire que celle de malades souffrant de sclérose en plaques ou de cancer4.

Les malades souffrant gravement d’EM ont besoin d’une prise en charge qui évite les déplacements et les surcharges sensorielles ou émotionnelles. Multiplier les examens qui ne seraient pas absolument nécessaires ou aiguiller vers un psychiatre qui ne connaît pas l’EM, c’est nocif pour les malades. Lors d’une hospitalisation, des conditions spécifiques doivent être respectées  :  chambre individuelle, limitation des sollicitations, diminution des stimuli sensoriels au maximum, attention portée aux hypersensibilités chimiques, inclinaison à 30° pour la prise des repas, aliments respectant les besoins des patients… Si ces conditions ne sont pas mises en place, une hospitalisation peut être source d’aggravations très importantes. Les soins à domicile sont à privilégier autant que possible.

Les droits fondamentaux des malades souffrant d’EM sont malmenés. L’égalité aux soins, la non-discrimination, la qualité et la sécurité des prises en charge, le respect de la personne sont inscrits dans la loi française. Chaque malade mérite des professionnels de santé qui s’engagent. Encore plus quand leur état est grave et met leur vie en danger.

Se souvenir

Comme l’exprime justement une malade en état sévère, « l'ignorance médicale, les diagnostics tardifs, les prises en charge inadaptées et insuffisantes, c’est le chemin vers l'agonie ». L’EM tue. Les causes ? Risques accrus de cancers, de maladies auto-immunes, d’AVC, d’atteintes cardiaques, de suicides, épuisement progressif du corps lié à la dénutrition et aux atteintes systémiques. Sur les réseaux sociaux, des roses bleues fleurissent tous les mois, symbolisant la mort d'une personne atteinte d'EM. 

En 2023, plusieurs personnes engagées pour la cause de l’EM nous ont quittés. Nous rendons hommage à Annette O Bright, Tammy Roy, Kara Jane Spencer, Christine Feistl, Karen Griffiths, Sylvia Iversen, Mario Pinna, Lara Mallien, Sybille Bregy, Anna Fitzgerald, Sarah Louise Mclure, Jeannie Janssen, Eileen, Brandon Gilles, Aurélie, Mélanie Olk. Elles ne sont que la pointe de l’iceberg, combien de malades au stade très sévère sont décédés, seuls, oubliés de leur famille, de leurs amis, de leurs voisins ?  Nous ne les oublions pas et adressons à leurs proches toute notre compassion.

Références

1. Baxter, H.; Speight, N.; Weir, W. Life-Threatening Malnutrition in Very Severe ME/CFS. Healthcare 2021, 9, 459. doi.org/10.3390/healthcare9040459
2. Burnet RB, Chatterton BE. Gastric emptying is slow in chronic fatigue syndrome. BMC Gastroenterol. 2004 Dec 26;4:32. doi: 10.1186/1471-230X-4-32. PMID: 15619332; PMCID: PMC544348.
3. Hobday RA, Thomas S, O'Donovan A, Murphy M, Pinching AJ. Dietary intervention in chronic fatigue syndrome. J Hum Nutr Diet. 2008 Apr;21(2):141-9.  PMID: 18339054.
4. Nacul, L.C.; Lacerda, E.M.; Campion, P.; Pheby, D.; de L Drachler, M.; Leite, J.C.; Poland, F.; Howe, A.; Fayyaz, S.; Molokhia, M. The functional status and wellbeing of people with myalgic encephalomyelitis/chronic fatigue syndrome and their carers. BMC Public Health 2011, 11, 402
5. Sommerfelt, Kristian, Trude Schei, and Arild Angelsen. 2023. Severe and Very Severe Myalgic Encephalopathy/Chronic Fatigue Syndrome ME/CFS in Norway: Symptom Burden and Access to Care Journal of Clinical Medicine 12, no. 4: 1487.
6. Speight, Nigel. 2020. Severe ME in Children. Healthcare 8, no. 3: 211.
7. UK National Institute for Health and Care Excellence. Guideline : Myalgic Encephalomyelitis (or Encephalopathy)/Chronic Fatigue Syndrome: Diagnosis and Management. Octobre 2021
8. Weinstock LB, Pace LA, Rezaie A, Afrin LB, Molderings GJ. Mast Cell Activation Syndrome: A Primer for the Gastroenterologist. Dig Dis Sci. 2021 Apr;66(4):965-982. doi: 10.1007/s10620-020-06264-9. Epub 2020 Apr 23. PMID: 3232889

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En bannière, dessin de Camilla Trizio. Le dessin est une aquarelle dans les tons de bleu qui représente des plantes fanées. Peintre et illustratrice, Camilla est aidante de son amie Chloé, atteinte d’EM sévère suite au Covid. "Les plantes de la chambre de Chloé ont toutes dû être déplacées. Chloé ne tolère aucune lumière en ce moment et elles mouraient doucement. À chaque fois que je les vois, je suis confrontée à une chose supplémentaire qu’elle a perdue à cause de l’EM/SFC". Compte instagram de Camilla.

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